Suis-je un auteur raciste ?

Image tirée de Star Wars Squadrons © Electronic Arts

Pour l’Empire

L’idée de cet article m’est venue après avoir visionné cette vidéo, qui, sur le moment, n’a générée en moins que le plus complet ravissement (traduisez : « C’est booooo »). C’est en lisant les commentaires à sa suite, sur le site où elle a été postée, que j’ai été atterré par certaines réactions.

En effet, le pilote impérial qui nous est présenté étant typé asiatique, un posteur a critiqué le fait que, le multiculturalisme étant désormais à la mode, on en voit même dans Star Wars, sous-entendu que c’est une idiotie (je me demande si sa remarque englobait la supérieure du pilote qui, en plus d’être aussi typée asiatique, est une femme, arg !)

Si j’ai aussi noté cet « effet de mode » ces derniers temps, on ne peut pas dire que l’évolution des mentalités a surgi du néant (songez à Starship Troopers, le roman de 1958, et son héros philippin, à Star Trek, la série lancée en 1968, aux X-Men, l’équipe de 1975…), plutôt qu’elle se fait désormais bien moins discrète.

Une très bonne chose, on ne peut plus évidente à notre époque.

Cette impression d’effet de mode n’est finalement due au fait que l’évolution survient en bloc (à la télé, au cinéma, dans les jeux vidéo…), qu’il ne s’agit plus d’une lente progression. Faut-il vraiment s’en plaindre ?

C’est un phénomène d’autant plus normal dans un univers comme celui de Star Wars (où j’ai toujours aimé le fait que les humains vivent parmi d’autres espèces comme si c’était un truc absolument banal).

Et si le racisme existe dans cet univers, il ne s’exprime que chez les « méchants » de l’Empire Galactique et « seulement » envers les non-humains.

Atterrant.

Ce n’est malheureusement pas la première fois que de tels propos touchent cet univers que j’aime tant. Peut-être avez-vous entendu parler de tous ces abrutis qui s’en sont pris à l’actrice d’origine vietnamienne Kelly Marie Tran, incarnant Rose dans la dernière trilogie ? Qu’on puisse aimer Star Wars tout en étant aussi étroit d’esprit me dépasse.

Pour en revenir à la vidéo, le commentaire qui disait, lui, que le multiculturalisme, c’est bien, mais si c’est pour montrer des minorités ethniques du côté des « méchants », c’est contreproductif, n’avait pas tellement plus de sens.

Que répondre à ça ? Qu’avant de voir un blanc, un noir, un jaune, il serait plus sensé de voir un être humain avant tout, capable, comme nous tous, de faire des choix, bons ou mauvais ? Je le pense.

Et moi ?

Ces remarques, aussi débiles qu’elles puissent être, ont au moins eu le mérite de me faire réfléchir à mon propre positionnement par rapport à cette question et à la manière dont je la traite dans mes écrits.

Dans la vie, je ne crois pas être quelqu’un de raciste, en ceci que je juge les gens sur leur comportement plutôt que sur leur couleur de peau (des êtres humains), je tâche donc de reproduire une certaine diversité dans mes textes qui le permettent, ne serait-ce que par souci de réalisme (qui le permettent, oui, ce n’est pas tellement le cas dans mes histoires de fantasy, par exemple, souvent inspirées du Moyen Âge européen).

Le fait est que si diversité il y a dans mes histoires, les personnages non-blancs sont secondaires ou tertiaires. Racisme ?

Un conseil souvent donné aux jeunes auteurs est d’écrire sur ce qu’ils connaissent. Et c’est ce qui se passe ici. Je suis blanc, j’ai donc naturellement tendance à raconter l’histoire de héros blancs.

Je sais, c’est un peu en contradiction avec ce que je disais plus haut sur le fait de voir des êtres humains avant une couleur de peau.

C’est sans compter toutefois sur les différences culturelles dont, poussé par une certaine paresse intellectuelle, je me détourne pour en rester à ce que je maîtrise.

Un tort ? Peut-être ? Le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui est devenu tellement sensible qu’aborder un certain nombre de sujets, c’est courir le risque de créer la polémique.

J’avais lu, sur le blog d’une autrice noire (dont je ne retrouve pas le lien, hélas), qu’elle encourageait les gens à ne pas être timides, que si dans nos histoires il se trouvait des personnages noirs, il fallait que ce soit clair, sans circonlocutions (du type « sa peau d’ébène », un « black »), étant donné leur sous-représentation dans la littérature.

C’est en découvrant son billet que j’ai par exemple décidé, dans Horizon Obscur, de désigner l’un de mes personnages comme « un bel homme à la peau noire », alors que j’avais moi aussi tendance à décrire les non-blancs de manière détournée, par des caractéristiques physiques « typiques » (cheveux crépus, yeux bridés…).

Malgré tout, j’ai quand même demandé des avis sur ce passage, qui personnellement me gênait un peu, en ce sens que je trouvais qu’il pouvait être offensant.

On m’a détrompé, rien d’offensant ici. Soit. Et cependant, je ne suis pas, encore à ce jour, pleinement convaincu. En effet, se contenter du mot « noir » ne fait apparemment pas consensus parmi les personnes concernées.

Risque inutile ?

Alors imaginez que j’invente une histoire avec, comme personnage central, un non-blanc, est-ce que ça ne reviendrait pas à me retrouver sans arrêt face à ce genre de questionnements d’apparence si anodins ?

Faudrait-il que j’engage un « sensitivity reader » pour éviter les foudres des uns et des autres ?

Si vous ignorez de quoi il s’agit, les sensitivity readers ont vu le jour aux États-Unis voici quelques années et commencent à être employés par chez nous. Leur job ? Lire des manuscrits et indiquer aux auteurs/éditeurs ce qui peut paraître offensant pour telle ou telle communauté.

Personnellement, je trouve ça pas mal, à partir du moment où il est question de conseiller, pas de censurer, et où il est clair et compris que le point de vue de l’auteur se distingue de celui de son personnage. À savoir, que l’auteur reste libre de parler d’un personnage raciste/sexiste/homophobe/… tant que ledit personnage ne sert pas d’avatar pour exprimer les idées de son créateur et qu’un tel personnage soit utile à l’histoire, bien sûr.

Bien que, comme on l’a vu, tout le monde ne tombe pas forcément d’accord, et l’avis d’un sensitivity reader ne sera jamais que cela, son avis.

Eh oui, qui peut prétendre parler au nom d’une communauté entière ?

Et puis, je l’ai dit, la couleur de peau des gens est sans importance pour moi et j’aimerais que ça se ressente clairement dans mes textes, je ne veux pas que « il est noir », « il est asiatique » soit une caractéristique par laquelle un personnage soit identifié comme si c’était un point sur lequel l’attention du lecteur doit s’arrêter, voire, pire, que ce soit une caractéristique unique, qu’il ne soit distingué que par ça.

On ne décrit jamais un personnage en disant « il est blanc », sous-entendu que 99 % des personnages dans la littérature le sont, alors pourquoi faire la distinction quand il s’agit d’un non-blanc ?

Ce serait mon point de vue, si, comme le dit l’autrice citée plus haut, il n’était pas important de souligner cette différence, justement, au vu de la sous-représentation des personnes d’ethnies différentes dans la littérature.

Pour moi, c’est donc insatisfaisant mais nécessaire, du moins jusqu’à ce que les temps changent… ce qui n’est pas pour demain.

Et puis allez, comme on est entre nous, je peux bien vous le dire, j’ai commencé la rédaction du deuxième tome d’Horizon Obscur et il se trouve que l’un de mes personnages principaux est une femme métisse. Je n’ai pas « suivi la mode », juste le fil conducteur de mon histoire.

Double difficulté ! Même pas peur. Si j’ai un doute, je poserai la question à qui de droit.

Quant aux femmes, même si elles demeurent souvent un mystère pour moi, je pense (humblement) commencer à comprendre comment les écrire de manière crédible.

Mais c’est un sujet sur lequel je reviendrai dans un prochain billet, et vous verrez que je me suis souvent fait taper sur les doigts !

Vers une plus grande diversité ?

Maintenant que j’ai pris conscience de cela, vais-je multiplier les personnages non-blancs dans ma production ?

Dans une certaine mesure.

Les artistes ont clairement un rôle à jouer dans l’évolution des mentalités et, et si je tâcherai toujours de créer des personnages dans l’ère du temps par souci de réalisme, je ne me vois pas forcer le trait.

Mon but reste avant tout de raconter une bonne histoire, pas d’attirer l’attention des lecteurs sur mon ouverture d’esprit, je ne suis pas un auteur militant, je ne cherche pas à faire passer un message.

Je participe juste au changement à mon modeste niveau et à hauteur de ma propre sensibilité.

Et c’est déjà pas mal, non ?

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